mercredi 25 janvier 2012

« Nous voulons savoir où est notre sœur Rebeca »

Elle aurait aujourd'hui 34 ans. « Nous devons accepter l'éventualité que Rebeca vive quelque part. Mais où ? » Cette hypothèse, la famille Losa Ocáriz ne l'avait jamais envisagée avant le 10 janvier dernier. Ce jour-là, réunie autour du caveau familial, elle apprenait que la tombe, supposée contenir le corps de la fillette décédée quelques jours après sa naissance, était vide.
Aucun reste biologique, seul un bout de tissu roulé en boule, au fond de la petite caisse en bois. « Il n'y a pas, et il n'y a jamais eu de cadavre dans ce cercueil. »
On l'appelle le « scandale des bébés volés ». À l'origine, un projet politique. Durant la dictature franquiste et jusqu'aux premières années de la démocratie, des milliers d'enfants de républicains auraient été arrachés à leurs parents (avec la complicité de l'Église), pour être donnés ou vendus à des familles bourgeoises.
Mais cette pratique a perduré sous d'autres formes. À des fins sans doute plus crapuleuses que politiques. Dans l'Espagne moderne, l'ampleur de ce trafic de nouveau-nés irait bien au-delà de tout ce que l'on peut imaginer. « À une échelle industrielle », soupçonnent de nombreuses associations, dont SOS-Bebés robados Euskadi (SOS-Bébés volés Euskadi). « Un enfant pouvait se monnayer autour de 4 millions de pesetas (24 000 €), le prix d'un appartement », tranche Flor Días, la présidente de cette association. « Nous avons recensé des centaines de témoignages et, à chaque fois, c'est le même scénario. Il y avait forcément un véritable réseau organisé derrière tout ça. »
Au Pays basque, peu à peu, la parole se libère. Sur l'ensemble des trois provinces, la justice a enregistré plus de 200 procédures concernant des accouchements survenus entre 1945 et 1993. En septembre dernier, pour la première fois, un juge basque ordonne une exhumation. Dans ce cimetière de Derio (région de Bilbao), on découvre un cercueil vide. La tombe d'un enfant décédé quelques heures après sa naissance, et prétendument enterré là. Cette affaire remonte à 1993, il y a dix-neuf ans à peine.
Dans la région de Saint-Sébastien, la justice enquête sur la mort non avérée de 121 nouveau-nés. Parmi lesquels Rebeca Losa Ocáriz. Pablo, un de ses frères, raconte : « Ma mère a mis Rebeca au monde le 3 juillet 1977, à la clinique privée Martin Santos, une des meilleures de Saint-Sébastien. Le médecin a dit qu'elle était parfaite. » La fillette naît dans une famille aisée de Saint-Sébastien. Le père est un industriel qui a fait fortune. Elle aurait été le huitième enfant de cette fratrie. Mais la suite est à peine croyable. « Quelques heures après l'accouchement, maman a appris que la petite venait d'être transportée d'urgence à la résidence Aránzazu (hôpital public). Une histoire de problème respiratoire qui ne tient pas la route. »
Et si Rebeca était en France ?
Sept jours plus tard, le 10 juillet, les médecins annoncent à un oncle le décès de Rebeca. « Pourtant, entre le 3 et le 10 juillet, mon père s'est rendu chaque jour dans cet hôpital. Chaque jour on lui a présenté une petite fille dans une couveuse. » L'acte de décès révèle que la fillette est morte le 7 juillet 1977.
Face à tant d'incohérences, le couple demande à voir le corps. On lui présente la dépouille d'un nourrisson ensanglanté. « Ma mère a toujours eu l'intime conviction qu'il y avait quelque chose d'anormal. Mais de là à imaginer qu'elle fleurissait depuis trente-quatre ans une tombe vide ! » Pablo s'insurge et, face au risque de prescription des faits, menace : « Nous avons les noms des trois médecins qui ont signé cet acte de décès, dont un pédiatre qui est toujours en activité. Nous attendons de la justice qu'elle fasse son travail jusqu'au bout. Nous voulons savoir où est Rebeca. »
Comme des centaines de familles, ces neuf frères et sœurs veulent percer le mystère de ces disparitions de nouveau-nés. Ici, des histoires d'adoptions suspectes par des femmes françaises, trop âgées pour en avoir, couraient depuis des années. « Ce serait logique, la frontière n'est qu'à une poignée de kilomètres. Rebeca pourrait très bien avoir été élevée en France ou ailleurs. »
http://www.sudouest.fr/2012/01/24/nous-voulons-savoir-ou-est-notre-soeur-rebeca-613534-4585.php

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