lundi 21 novembre 2011

Proxénétisme: plongée dans les coulisses du Carlton

Au Carlton comme à l’Hôtel des Tours, deux établissements luxueux situés en plein cœur de Lille, les « amis » en quête de bon temps pouvaient compter sur un trio bien rodé. Hervé Franchois, 70 ans, propriétaire des deux établissements, Francis Henrion, 45 ans, gérant des Tours et gestionnaire du Carlton, et René Kojfer, 69 ans, responsable des relations publiques au carnet d’adresses long comme le bras.
Les trois hommes, dont deux d’entre eux, Kojfer et Henrion, appartiennent à la franc-maçonnerie, ont été mis en examen pour « proxénétisme aggravé » et « association de malfaiteurs » dans le cadre de l’enquête des juges lillois. Francis Henrion a été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Hervé Franchois et René Kojfer sont toujours écroués.
Les policiers les soupçonnent d’avoir organisé et/ou couvert la venue de prostituées pour satisfaire une certaine clientèle et ainsi gonfler l’activité. Au premier trimestre 2009, « M. Franchois a demandé à M. Kojfer de faire du chiffre d’affaires, relate Francis Henrion sur procès-verbal. Pour M. Kojfer, cela ne signifiait pas forcément faire des séminaires, des salons… Personne n’était dupe, car M. Franchois et moi connaissions le carnet d’adresses de M. Kojfer, ses relations avec la gent féminine et ce qu’il pouvait en faire. »

Des tarifs préférentiels, avec ou sans « dossier »

Selon Francis Henrion, Kojfer se chargeait de recruter les prostituées en les abordant directement dans la rue ou en faisant appel au réseau belge de son ami proxénète Dodo la Saumure, qu’Hervé Franchois se souvient avoir vu deux fois à l’hôtel, « il y a cinq ou six ans ». Les écoutes en témoignent : pour désigner ces drôles de dames, les trois hommes utilisaient, entre eux, l’élégant sobriquet de « dossiers ». Hervé Franchois assure avoir tout ignoré de ces pratiques qui auraient couru de 2008 à 2011. Impossible, s’insurge Henrion. « Lorsque René Kojfer parlait de dossiers, nous savions tous qu’il s’agissait de filles. »
Devant les enquêteurs, Francis Henrion détaille le système. Première possibilité : le client réserve la chambre lui-même, puis prend contact avec René Kojfer pour obtenir une prostituée. Deuxième possibilité : René Kojfer réserve la chambre à la demande du client qui se présente ensuite à la réception avec une fille. Troisième cas de figure : René Kojfer réserve une chambre au prénom d’une fille (Sonia ou Pauline, par exemple) que le client, après s’être renseigné auprès de la réception, monte rejoindre.
Un système bien huilé et efficace, destiné à « faire du chiffre d’affaires », et qui s’accompagnait de tarifs préférentiels. « En général, le prix était de 130 €, mais, pour les amis de René, on le baissait à sa demande à 80 € », témoigne ainsi un réceptionniste de l’Hôtel des Tours devant les enquêteurs. Durant sa garde à vue, l’ex-Monsieur Relations-Publiques a admis qu’il percevait 10% sur les chambres louées, pourcentage reversé sous forme de frais professionnels. « Le comptable n’était pas d’accord, mais il n’avait pas le choix vis-à-vis de M. Franchois », précise Francis Henrion, qui assure n’avoir jamais touché de commissions dans l’affaire.
Surplombant l’hôtel, la « coupole » ou « chambre 507 ». Dans ce duplex de 100 m2 à la vue imprenable, équipé d’un jacuzzi et d’un hammam, les locataires se voient proposer des « boissons à discrétion ». Un lieu idéal pour des rencontres libertines. Prix affiché : 1200 € ou 1300 €. « Les employés qui effectuaient la réservation de cette chambre percevaient 10% sur le tarif », précise un ancien stagiaire du Carlton. En mai 2011, Jean-Christophe Lagarde, policier mis en examen dans ce dossier, demande à sa « relation » Kojfer d’y faire une réservation pour Fabrice Paszkowski, un des deux entrepreneurs écroués. Le 26, Francis Henrion appelle le réceptionniste, l’avertit que le prix sera de 800 €, et précise que Paszkowski est un « protégé » de Dominique Strauss-Kahn. Sur les écoutes, le réceptionniste répond, en riant, qu’il faudra éviter de faire appel à une femme de ménage. « Une plaisanterie par rapport au Sofitel », indique Francis Henrion. « Mon tort a été de fermer les yeux, d’être complètement naïf », admet-il devant la juge, en se défendant d’être un proxénète. Tout comme René Kojfer, qui affirme finalement « n’avoir jamais fixé de tarif ni touché de commission ».


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