mercredi 12 août 2015

Meurtre des frères Poggi: Patricia brise le silence à Antibes

Trente ans après le double assassinat de la rue Fourmillière, un soir d’avril 1985, l’ex-femme de Dominique Poggi raconte sa vérité. Pour pouvoir, enfin, tourner la page…
Une rencontre accidentelle. Celle de Patricia et Dominique Poggi. Une piqûre du destin pour une histoire d'amour. C'était au début des années soixante-dix. Aujourd'hui âgée de 63 ans, Patricia la raconte comme si c'était hier.
Comme si elle se retrouvait à nouveau au volant de son véhicule sur l'avenue Pasteur. Comme si elle sentait encore le dard de la guêpe qui l'a déconcentrée. Comme si elle revoyait sortir de son Alfa Romeo grise Dominique Poggi, celui dont elle a abîmé la carrosserie.
Elle entend encore résonner son "accent corse à couper au couteau". Elle s'en souvient oui, de cet homme imposant, proche du "milieu", qui lui a garé sa voiture et lui a offert une menthe à l'eau.
Début d'une idylle. Point de départ d'une histoire entamée par une piqûre et qui s'achèvera par une blessure.
Trente ans après l'assassinat de Dominique et de son frère Noël au Club 62 de la rue Fourmilière, Patricia Poggi décide d'ouvrir son cœur et sa malle à souvenirs. Pour la première et la dernière fois.
Pourquoi ressentir le besoin de parler de cette affaire?
J'en ai marre d'entendre parler de "règlement de comptes". On pense toujours que Dominique a arnaqué quelqu'un. Il est temps que je donne les conclusions fournies par la police, la justice et un cercle très restreint d'amis. Et ensuite, je pourrais tourner la page.
Pourquoi Dominique et son frère ont-ils été tués?
A la suite d'un casse perpétré dans une banque de Bastia, des amis de Dominique l'ont contacté pour qu'il écoule des bons au porteur. Il y en avait pour 450 briques de l'époque - 450 mille francs.
C'était un cadeau empoisonné: l'opération était difficile à réaliser. Cela a pris du temps. Et les gars étaient persuadés que Dominique les avait floués…
Ils n'ont pas discuté avant?
Un ami de Dominique lui a rapporté des propos tenus dans un bar de Bastia par deux personnes: "On va creuser deux trous." Dominique a fait un aller-retour sur l'île pour s'expliquer.
Se sentait-il en danger?
Pas du tout! Sinon comment aurait-il pu se balader les mains dans les poches? Il n'aurait jamais pris de risque. Ni pour Noël ni pour moi. Il connaissait les règles. Ce n'était pas un enfant de chœur mais s'il se sentait menacé, il m'aurait dit de partir.
Il pensait que le problème était réglé. Mais ils n'ont pas dû le croire…
Et pourtant c'était la vérité.
Oui après le décès, la police a arrêté l'ami de Dominique avec le sac dans une banque de Lugano. Il était en train de négocier les bons. Il y avait le compte au centime près. Là, tout le monde s'est rendu compte qu'il ne les avait pas floués.
Avec son frère, ils ont été tués pour rien.
Ces assassins n'ont jamais été arrêtés…
Ils ont été assassinés dans les mois qui ont suivi. Je n'étais pas rassurée par leur mort parce qu'à cette période-là, j'avais la haine. Je sais ce que c'est que d'avoir mal à l'âme. C'est un tsunami.
Je plains la femme du préfet Erignac, elle a dû ressentir les mêmes choses que moi.
En vivant avec Dominique, on s'attend à une telle fin?
Jamais, c'était inimaginable. C'était un homme intelligent.
Vous souvenez-vous du soir du drame?
Dominique devait manger avec des amis. Moi, je suis sortie voir un film chez une amie: La maison du Lac. Une merveilleuse histoire avec Jane Fonda. Je ne l'ai plus jamais revu en trente ans. Vers 23 heures, je suis rentrée. L'appartement n'était pas fermé à clé et à l'intérieur tout était éclairé. C'était étrange. J'ai tout de suite pensé que quelqu'un s'y était introduit.
Au même instant, le téléphone a sonné. Une voix détimbrée. Celle de mon cousin: "Où tu étais? On te cherche. Ne bouge surtout pas on arrive."
Vous êtes donc restée chez vous.
Une fois à la maison mon cousin me dit: "Il y a quelque chose de grave qui s'est passé au club." Je réponds sans savoir: "Oui, je suis au courant." J'ai fait un déni total. Je ne voulais pas entendre, j'aurais disjoncté.
Même plus tard au commissariat, je ne comprenais pas ce qu'il se passait. Personne ne me l'a vraiment dit. J'ai toujours eu cette faculté à occulter les choses. Je suis restée sur l'idée que mon mari allait me téléphoner. Ma vie s'est arrêtée là. Cela a duré six mois.
Son frère, Noël, est décédé quarante-huit jours après lui…
Chaque fois Noël me demandait comment Dominique allait. Jusqu'à la fin, il a cru que Dominique était vivant. C'était dur.
Puis la situation s'est compliquée…
J'ai commencé à être terrorisée quand Noël a disparu. Lors de son enterrement en Corse, pendant le cortège une personne derrière moi me lance: "Il faut nous ramener les bons. " Je ne comprenais pas. J'étais terrorisée, je fermais les stores, je dormais par terre. J'étais très choquée. Ensuite, j'ai encore eu des pressions, des menaces. On m'a téléphoné. Et même suivie.
Vous n'étiez pas entourée?
Il n'y a plus personne, tout le monde se met au vert. Un seul m'a proposé d'aller chez lui, Gérard Vigier et sa femme Nadia. A cette époque, le milieu ne brillait pas par l'intelligence. Sinon, il y aurait eu moins de morts.
Il ne faut pas croire que tous les gens assassinés ont manqué de parole et d'honneur. Et il ne faut pas mélanger les hommes et les systèmes. Il y a des nuisibles comme des bons.
Quels étaient vos rapports avec les enquêteurs?
Le juge Nogueras et les policiers ont vraiment été très bien avec moi. J'ai juste eu des problèmes avec ceux de Corse: "Courte patte et patachon", le méchant et le gentil, les sbires du juge Nguyen. Ils voulaient m'écrouer alors que j'étais moi-même une victime.
Ils m'ont mis la pression pour que je balance. Quand on est une "femme de voyou" comme ils disent, on est un peu affranchie. Et dans ce cas-là, il était hors de question que je m'affale. On reste une femme de tenue même quand l'inévitable arrive.
On ne vit plus, on survit…
La peur, la haine, le chagrin, l'attente, tellement d'émotions et de questions. C'est très difficile de survivre à ça. Surtout que l'on devait s'installer définitivement en Corse deux mois après…
Qui était vraiment Dominique?
Un mélange de Richard Burton pour le physique et Lino Ventura dans les films. Il ne disait rien et avait les mêmes manières. Il était buriné, bronzé et très maniaque. C'était un homme qui me fascinait et m'impressionnait. Il a traversé le milieu durant 40 ans alors j'imagine que c'était un homme d'honneur.
On a dit de lui qu'il était le cerveau du "gang des égoutiers"?
On ne peut le confirmer, il a été acquitté par la justice. Jamais, il ne m'en a parlé. Il ne se vantait de rien. Les médias ont monté ça en épingle. Pour lui, ça a été la pub du siècle.
Que vous reste-t-il 30 ans après?
Une merveilleuse histoire d'amour. Je n'ai aimé que deux hommes dans ma vie: Dominique et Philippe, avec qui j'ai refait ma vie. Je dirais que je survis. La réalité, c'est ça.
http://www.nicematin.com/antibes/meurtre-des-freres-poggi-patricia-brise-le-silence-a-antibes.2304312.html

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